Le ghosting: l’art de (se faire) larguer silencieusement

Ça se passait bien (du moins ça se passait) et voilà que monsieur ne donne plus aucune nouvelle. Au bout de quelques jours, on se rend à l’évidence : on vient de se faire larguer sans un mot. Enquête sur un phénomène si retentissant qu’on n’a rien entendu.

L’idée ? Je te quitte (mais je ne te le dis pas)
On a toutes connu ça. Un garçon qui fait le mort, ne répond plus à nos appels et SMS et nous oblige à en tirer une conclusion, comme une grande : c’est fini. On parle de ghosting, un terme tout neuf qui vient de l’anglais ghost (fantôme). Autrement dit, on a fréquenté Robert trois semaines, désormais il s’appelle Casper et on se sent vraiment prise pour une imbécile. Sophie, 30 ans, est inscrite sur Tinder. Des rencontres, elle en fait plein. Des débuts de relation, elle en connaît plein. Mais une sur deux se termine sans un mot. « J’ai le sentiment que les hommes me consomment et ne ressentent même pas le besoin de me dire au revoir. Un peu comme si le contrat était clair : on passe de bon temps, à base de sexe, et ça suffit. Et je reconnaîs que parfois, il m’arrive de faire le fantôme. » Car les femmes aussi disparaîssent sans un mot, ce n’est pas une attitude réservée à la gent masculine. « À l’époque de nos grands-parents, les hommes avaient le pouvoir, mais aujourd’hui les femmes ont aussi le choix de disposer. Elles aussi décident de ne pas refermer les parenthèses ouvertes« , commente Nathalie Giraud Desforges, sexothérapeute, fondatrice de Piment Rose.

La faute à Tinder et autres sites de consommation rapide ?
Oui et non. Comme nous l’explique Nathalie Giraud Desforges, le ghosting a toujours existé, même au sein des relations solides, et c’est d’autant plus violent : « Pour certains, la fuite devient la seule solution de mettre un terme à l’histoire, à une sitution vécue comme intolérable. » Parce que de nombreux signaux ont été envoyés et que des tentatives « de mieux » ont été mises en place. Mais rien n’y fait alors on fait ses valises, on ne laisse même pas une lettre – comme dans les films – et on file. Cependant, depuis quelques années, la pratique se répand : on vit dans un monde de choix multiples et de relations illico. Que ce soit avec un homme ou un burger, même combat : on le veut, on l’a. Et oui, il y a comme un contrat implicite (et triste) qui voudrait qu’on passe une nuit ensemble, voire deux ou dix, et qu’on s’arrête là parce qu’on a fait ce qu’on avait à faire. Alors pourquoi prendre la peine de se dire au revoir puisqu’on savait tous les deux à quoi s’attendre ? Et même si on n’est pas comme ça, même si on ne fréquente pas les sites de rencontres, ce comportement immédiat – je te prends, je te jette – semble s’imposer. Aujourd’hui, on pense que c’est comme ça que ça passe et puisque d’autres se permettent de faire les petits fantômes quand d’autres ont l’habitude de fréquenter des fantômes, pourquoi s’ennuyer ? Tout le monde a compris, non ?

Une question de lâcheté ?
Une question de facilité au service de la lâcheté. Puisqu’il n’a jamais été évident de dire ciao à quelqu’un, on largue par texto, mais on abuse du silence, idée de génie pour qui voudrait éviter de se confronter à l’autre. Ça ne demande aucun effort et ça évite de recevoir une réponse qui nous impose un rendez-vous face à face « pour comprendre ». « C’est un comportement d’autoprotection, évalue Nathalie Giraud Desforges. On s’enferme dans sa tour d’ivoire et on fuit une confrontation mentale. » Et les nouvelles technologies bossent très bien pour nous : si je ne te montre pas que j’ai « vu » tes SMS et tes Messenger, moi qui suis connecté parce que je suis d’une génération connectée, tu vas comprendre toute seule. Si je te supprime de mes friends aussi. C’est simple : pour te draguer, je te poke et t’écris, je like tes photos et te snap. Donc pour te larguer, je fais le strict contraire.

Merci, mais on en fait quoi, de ce silence ?
On a beau comprendre que ça pue, on n’admet pas tout de suite que c’est mort, surtout quand on attendait quelque chose de cette rencontre. On se dit que Robert a peut-être perdu son téléphone ou qu’il l’a fait tomber dans la piscine. On lui trouve de tendres excuses pour ne pas voir en face qu’il nous manque de respect. Sauf que les copines nous ramènent sur Terre, ainsi que notre lucidité : c’est terminé. Comment l’accepter sans l’avoir entendu ? Entreprendre le deuil d’une histoire (oui on fait des deuils pour une semaine de relation, on est très sentimentale), c’est possible en silence ? On a envie d’explication, on aime les choses claires et arrêtées. Comme chantait Goldman « tout, mais pas l’indifférence ». Alors on pourrait bien harceler l’homme pour avoir une explication, histoire de faire changer les choses. Mais comme le précise Nathalie Giraud Desforges : « Insister pour avoir des explications ne fera que réconforter l’autre dans ses actes. Et pire, il pensera que larguer en silence est une bonne option et réitérera avec d’autres. » Si exprimer sa colère ne changera rien au comportement d’en face, cela aura le mérite de nous faire du bien. « C’est une façon de reprendre le contrôle, de mettre son propre point final« , explique la sexothérapeute. Enfin si on espère des explications de vive voix, la meilleure solution reste d’envoyer un message à l’autre en exprimant sa déception et sa tristesse. Sans agressivité aucune. « Sans oublier de se poser des questions sur soi avant d’accuser l’autre, conclut l’experte. Si on est toujours victime de ghosting, on peut se demander si nos yeux ne se ferment un peu trop face à des signaux pourtant clairs ?« 

Et si c’est impossible d’obtenir la moindre explication, on peut se transformer en fantôme aussi, et se répéter que c’est fini même si on n’a rien entendu : le timbre de son répondeur, en 2016, veut dire « je te quitte ». Et si ma foi un jour il essaie de rappeler, notre timbre à nous voudra dire : je t’emmerde.