La Kafala: un engagement parental comme un autre

« J’y pensais mais j’ai pris ma décision de façon irrationnelle et brutale », « un don du ciel », «  je me suis sentie inéluctablement aspirée par l’adoption d’un enfant »… Les mots usités par les parents adoptants flirtent l’invisible et connotent un désir profond mûrement infusé, en acte un peu magique et irrationnel. Si toutes les personnes qui adoptent ne le font pas pour les mêmes raisons, cela va de soi, toutes ont leurs motivations d’ordre personnel mais parfois… social. Tel couple qui adopte sur le tard, telle famille déjà constituée, telle femme, aussi différents soient-ils dans leur mode de vie, tous ont convergé vers l’expérience de la kafala. Pour Mme El Wafi , membre actif et fondateur de l’Association Marocaine de Parents Adoptifs Osraty : « Les raisons qui poussent à l’adoption sont multifactorielles et ne peuvent être réduites à la possibilité ou non d’un couple de donner naissance biologique à un enfant. Il n’y pas de cas de figure particulier. Chaque adoptant a son propre vécu et parcours particulier qui oblige à ne pas tirer de conclusions hâtives pour délimiter un profil-type. Notamment au Maroc où la question juridique et sociale qui délimite la parentalité est plus restrictive qu’ailleurs. »

La kafala, un acte légal qui ne protège pas encore suffisamment

Traditionnellement, prendre en charge un enfant n’est pas inconnu à l’inconscient collectif. Il y a toujours eu un enfant adopté dans les familles qui, à l’époque, avait une configuration sociologique beaucoup plus élargie qu’aujourd’hui.  Ces prises en charge relevaient de la kafala « sauvage », peu structurée au niveau de l’état civil de l’enfant et reflet d’un mode  de vivre où la vie en communauté autorisait ce genre d’extension familiale. Conséquence directe : l’absence de considération pour l’enfant en question, souvent baptisé « d’enfant du pêché » par l’entourage  indirect.

En 2016, avec le taux d’urbanité que connait le Maroc, c’est la famille individualiste et nucléaire qui a le vent en poupe et par là même, une valorisation de l’enfant en sein, adopté ou non. On n’adopte plus de la même façon même si certaines pratiques perdurent. Le Code de la Famille ne s’y est pas trompé en reconsidérant les femmes célibataires et leur capacité à pouvoir adopter un enfant depuis 2004. Et si la procédure reste toujours en l’état, longue et laborieuse, la kafala est l’un des moyens légaux qui permet l’encadrement, une éducation et une protection de ces enfants pris en charge qui, à l’origine, ont été abandonnés. En face, les chiffres l’attestent, l’abandon d’enfants est massif : 2% des naissances soit prés de 6 480 enfants ont été abandonnés en 2008 selon la dernière étude menée conjointement par la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance et l’UNICEF. Une kafala qui, en l’état, fait bougonner parents adoptants comme acteurs principaux de la protection l’Enfance.

Pour Mme Dalila Bennani, directrice pédagogique de l’orphelinat de Sidi Bernoussi, : « La loi ne protège pas suffisamment l’enfant adopté. J’ai vu des cas d’enfants abandonnés une deuxième fois car ramenés par leurs parents adoptifs à l’orphelinat au motif que l’enfant faisait des bêtises. La sélection des parents adoptifs  devrait être plus rigoureuse avec un accompagnement. Il faudrait que soient créées des structures type «guichet unique» spécialisées dans l’adoption avec des assistantes sociales, des avocats et des psychologues, où les candidats à l’adoption pourront s’adresser sans courir d’une administration à une autre et qui sera l’interlocuteur privilégié entre eux et les institutions compétentes (Orphelinats, Tribunaux, état civil, consulats pour les adoptions à l’étranger). Ces structures auront à charge également d’être force de proposition auprès du ministère concerné pour améliorer l’adoption légale, en faisant remonter les problèmes et les dysfonctionnements qu’elles auront constatés dans leur pratique quotidienne.» Toujours et encore la procédure stigmatisée. Les parents s’en remettent à la kafala provisoire en attendant, parfois un an et demi, l’autorisation définitive qui leur permet d’organiser socialement la structure familiale.

Trois questions à… Dr Houda Hjiej pédopsychiatre à Casablanca

Comment est-on parent en 2016 ?

Je pense que ce qui fait la différence actuellement par rapport aux temps précédents, c’est que les parents ont la possibilité de s’informer afin de pouvoir proposer une éducation réfléchie, qui ne se base pas juste sur ce qu’ils ont reçu eux comme éducation de leurs parents.

L’étape « grossesse » est-elle incontournable pour le devenir harmonieux de la parentalité?

La parentalité n’est pas la maternité ou la paternité, être parent c’est pouvoir subvenir aux besoins matériels, affectifs et éducatifs de l’enfant, ce qui n’implique pas obligatoirement le faite de l’avoir engendré ou pas. C’est une conscience responsable de l’éducation de son propre enfant.

Doit-ton en tant que parents entourer de précautions spécifiques les enfants adoptés?

Les enfants adoptés, par rapport aux enfants de naissance, ont plus besoin d’être rassurés par rapport au risque d’abandon, notamment parce qu’ils l’ont déjà vécu et en ont soufferts et qu’ils gardent toujours en eux cette crainte que le traumatisme ne se répète.

Quels sont les écueils à éviter?

De leur mentir sur la réalité de leur adoption, de leur cacher leurs origines, de menacer un enfant adoptif de l’abandonner s’il est un « mauvais enfant », même-si on ne le pense pas vraiment.