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La mode sous toutes les formes

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Depuis l’avĂšnement de la crĂ©ation mode, le corps de la femme est un idĂ©al fantasmĂ© bien loin de la rĂ©alitĂ© de la sociĂ©tĂ©.  Pourtant, de nouveaux canons de beautĂ© Ă©mergent, qui bousculent les codes du secteur. Retour sur une Ă©volution. 

La naissance du « corps mode »

 

 

La question du corps est inhĂ©rente Ă  celle de la mode. Support du vĂȘtement, le corps est contraint de se plier aux formes vestimentaires souhaitĂ©es par les stylistes. Il doit se mouler sur les silhouettes plus ou moins naturelles dessinĂ©es par ces couturiers. Le corps-mode correspond ainsi Ă  un fantasme imposĂ© par les grands noms de la couture : ils imposent Ă  la femme des mensurations Ă  la limite parfois du surnaturel et font du corps  une chose qui leur appartient, mallĂ©able Ă  volontĂ©.

 

 

Le principe du corps « portemanteau » prend naissance avec l’installation Ă  Paris en 1858 du crĂ©ateur anglais Charles Frederick Worth. Initiateur de la haute couture, il initie Ă©galement la profession de mannequin. Le principe du corps-objet atteint alors son paroxysme : le mannequin porte le vĂȘtement, le met en valeur, dĂ©file devant la cliente sans jamais prononcer la moindre parole, multiplie les allers retours pour faire valoir les vĂȘtements du couturier. Mis en scĂšne lors des dĂ©filĂ©s et dans les magazines fĂ©minins, ce « corps mode » est pourtant loin de correspondre aux rĂ©alitĂ©s physiques, notamment de celles des clientes des maisons de couture.

 

 

Le mannequin au « corps mode » continuera de constituer la rĂ©fĂ©rence en matiĂšre d’esthĂ©tique corporelle tout au long du 20Ăšme siĂšcle. En 2005, lors d’une interview accordĂ©e au quotidien français LibĂ©ration, Karl Lagerfeld, en Ă©voquant les nouveaux mannequins en vogue, est revenu sur la dĂ©finition du corps-mode : « Elles n’ont pas beaucoup de seins. Elles sont absolument impeccables, elles entrent dans les robes sans aucun problĂšme. C’est difficile Ă  expliquer, c’est une autre silhouette, une autre attitude du corps. Il ne faut pas avoir d’os trop larges; il y a des choses qu’on ne peut pas raboter… Le corps «mode» d’aujourd’hui, c’est une silhouette faite au moule, d’une Ă©troitesse incroyable, avec des bras et des jambes interminables, un cou trĂšs long et une trĂšs petite tĂȘte. ». 

 

Madrid donne le la

 

 

Il aura fallu un drame pour que le monde de la mode accepte d’interroger ses standards. Le 2 aoĂ»t 2006, Luisel Ramos, un jeune mannequin de 22 ans originaire de l’Uruguay, meurt d’épuisement Ă  la fin d’un dĂ©filĂ© en Espagne. Ses collĂšgues avaient expliquĂ© que, depuis des mois, elle se nourrissait de feuilles de salades et de sodas light, et qu’elle avait arrĂȘtĂ© de manger deux semaines avant le dĂ©but des dĂ©filĂ©s. Il y avait donc urgence Ă  statuer.

 

 

Lors de la Pasarela Cibeles, la Fashion Week madrilĂšne qui s’est tenue en septembre de la mĂȘme annĂ©e, cinq mannequins jugĂ©s trop maigres avaient Ă©tĂ© privĂ©es de dĂ©filer. Les jeunes femmes n’atteignaient pas le seuil de l’indice de masse corporelle (18) dĂ©crĂ©tĂ© par le gouvernement rĂ©gional de Madrid qui s’est basĂ© sur une norme de l’Organisation mondiale de la santĂ©. Les cinq jeunes femmes ont Ă©tĂ© ainsi exclues au nom de la lutte contre l’anorexie. La dĂ©cision espagnole fait le tour de la planĂšte et ravit la ministre la Culture britannique, Tessa Jowell, lors de la semaine des dĂ©filĂ©s anglais de la mĂȘme annĂ©e, estimant que «la promotion, par l’industrie de la mode, d’une image de la beautĂ© filiforme est dangereuse pour la santĂ© des jeunes filles et la reprĂ©sentation qu’elles ont d’elles-mĂȘmes.» Le drame madrilĂšne a poussĂ© plusieurs États Ă  envisager une action contre le phĂ©nomĂšne de la maigreur.

 

 

 

Ainsi, Ă  Londres, plusieurs recommandations ont Ă©tĂ© Ă©mises en 2007 par une commission composĂ©e de mannequins, de couturiers et de responsables de l’industrie de la mode. Parmi elles figuraient le lancement d’une Ă©tude portant sur les troubles alimentaires dont sont victimes certaines jeunes filles et l’introduction d’un IMC minimum comme en Espagne.

 

 

Un manifeste anti-anorexie a Ă©tĂ© adoptĂ© en Italie en fĂ©vrier 2007. Il impose aux mannequins de prĂ©senter un certificat mĂ©dical prouvant qu’elles ne souffrent d’aucun trouble alimentaire. Plusieurs mannequins avaient par la suite Ă©tĂ© exclus de dĂ©filĂ©s pour leurs «mensurations anormales». Aux Etats-Unis, le Conseil des designers de mode amĂ©ricain (CFDA) a diffusĂ© en 2007 une charte visant Ă  mieux dĂ©tecter et prĂ©venir les troubles alimentaires des mannequins. À New York, la lĂ©gislation encadre plus clairement les mannequins mineurs depuis octobre 2013, en les faisant notamment suivre par un professionnel de santĂ©. Plus rĂ©cemment, la loi Mannequin est entrĂ©e en vigueur le 1er octobre 2017 en France. Son objectif ? Ecarter des podiums et des magazines, les jeunes femmes trop maigres et intĂ©grer la mention « photographie retouchĂ©e » sur les affiches Ă  usage commercial en cas de traitement de l’image visant Ă  affiner ou Ă©paissir la silhouette des modĂšles.

 

 

2017, l’annĂ©e la plus inclusive

 

 

Mince voire maigre, le corps fashion est Ă©galement blanc. Les mannequins noires ou asiatiques ont toujours fait figure d’exception dans un monde de la mode dominĂ© par les canons de la beautĂ© caucasienne. Or, selon un rapport rĂ©alisĂ© par The Fashion Spot, l’annĂ©e 2017 a Ă©tĂ© l’une des plus inclusives en termes de diversitĂ© dans l’industrie de la mode.  

 

 

Le rapport indique que sur 782 couvertures de 49 publications de mode parmi les plus influentes, 32,5% de mannequins non-blancs ont Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s contre 3,5%  en 2016. Les magazines les plus inclusifs sont : Vogue Arabia, Vogue Taiwan, Vogue India, i-D, Paper, Dazed ou encore Allure. De son cĂŽtĂ©, l’édition britannique de Vogue a fait appel Ă  six mannequins non-blancs, dont la Britanno-GhanĂ©enne Adwoa Aboah, mannequin de l’annĂ©e aux Fashion Awards de Londres en dĂ©cembre 2017. Du cĂŽtĂ© des marques, l’étude de The Fashion Spot  indique que plus de 60% des mannequins employĂ©s l’annĂ©e derniĂšre par  Coach 1941, Dior et Dolce & Gabbana sont non-blanches.

 

 

Gucci fait encore plus fort avec un casting exclusivement noir pour les besoin d’une campagne de publicitĂ©. Alors, tout va bien dans le milieu de la mode ? Rien n’est moins sĂ»r. Aux Etats-Unis, le site Fashionista a publiĂ© une Ă©tude sur les 10 magazines fĂ©minins les plus lus du pays (Allure, Cosmopolitan, Elle, Glamour, Harper’s Bazaar, InStyle, Nylon, Teen Vogue, Vogue et W) pour faire l’état des lieux de la reprĂ©sentation de la diversitĂ© en couverture des magazines fĂ©minins. L’étude montre que 31,3% des couvertures prĂ©sentaient un mannequin non-blanc en 2017 contre 35,3% en 2016. Soit une baisse de 4% dans un contexte politique amĂ©ricain qui fragilise la place des minoritĂ©s dans la sociĂ©tĂ©. Enfin, l’étude de The Fashion Spot rĂ©vĂšle que les mannequins grande taille ne constituaient que 2,2 % des castings de publicitĂ© de l’automne 2017. Si ce taux est le plus Ă©levĂ© jamais observĂ©, il dĂ©tonne avec la rĂ©alitĂ© : aux Etats-Unis et dans bien d’autres pays, la rondeur n’est pas une diffĂ©rence (la taille de l’amĂ©ricaine moyenne se situe entre un  46 et un 48). 

 

 

Vers un nouveau « corps mode » ?

 

 

Selon le Centre amĂ©ricain pour le contrĂŽle et la prĂ©vention des maladies (CDC), l’IMC moyen des AmĂ©ricaines a rĂ©guliĂšrement augmentĂ© ces cinquante derniĂšres annĂ©es, passant de 24,9 en 1960 Ă  26,5 aujourd’hui. De son cĂŽtĂ©, une Ă©tude de Rehabs.com (site amĂ©ricain consacrĂ© Ă  la guĂ©rison de la dĂ©pendance et des troubles alimentaires) a rĂ©vĂ©lĂ© que la diffĂ©rence entre le poids des mannequins et le poids moyen des AmĂ©ricaines est passĂ©e de 8 % en 1975 Ă  plus de 23 % aujourd’hui. Ainsi, l’écart entre le corps de la femme idĂ©ale et de celle de tous les jours se creuse. Un Ă©cart qui oblige les marques de mode et de beautĂ© Ă  revoir leurs plans de communication.

 

 

 

A titre d’exemple, lors d’une campagne publicitaire en mars 2017, le gĂ©ant des cosmĂ©tiques Dove a tenu Ă  « montrer les femmes telles qu’elles sont dans la vie », en rejetant le concept de beautĂ© « inatteignable », en renonçant Ă  la manipulation numĂ©rique des photos et en « aidant les jeunes filles Ă  renforcer leur self-esteem en les encourageant Ă  s’aimer telles qu’elles sont ». RecrutĂ© pour les besoins du shooting, le photographe de mode Mario Testino, a ainsi rĂ©alisĂ© une sĂ©rie de portraits de 32 femmes ĂągĂ©es de 11 Ă  71 ans et issues de 15 pays.Cette ouverture aux corps issus de la rĂ©alitĂ© est sans doute encouragĂ©e par l’apparition de nouvelles figures fĂ©minines du show-business qui ont rĂ©ussi leur ascension alors que leurs corps sont loin de correspondre aux standards du « corps mode ».

 

 

On pense notamment aux chanteuses AdĂšle, Jennifer Lopez et Shakira mais aussi et surtout Ă  la femme d’affaires et star de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Kim Kardashian. Corps aux courbes gĂ©nĂ©reuses, cheveux Ă©pais et volumineux et sourcils fournis taillĂ©s au millimĂštre prĂšs : ces stars ont rĂ©ussi Ă  faire Ă©voluer les critĂšres de beautĂ©. Et leur physique atypique attire les pros de la mode ! A commencer par le photographe Jean-Paul Goude, qui bien qu’habituĂ© Ă  ne shooter que des corps filiformes, n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  immortaliser Kim Kardashian pour la couverture du magazine Paper en 2014. Une beautĂ© voluptueuse qu’elle met aussi en scĂšne sur les rĂ©seaux sociaux tel Instagram oĂč plus de 100 millions de personnes la suivent. Une chose est sĂ»re : la jeune californienne s’est hissĂ©e au rang d’icĂŽne d’une beautĂ© tout en courbes beaucoup plus accessible et saine que l’extrĂȘme minceur des mannequins. Et si c’était cela, la beautĂ© du 21Ăšme siĂšcle ?

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