Non classé

La mode marocaine vue par Noureddine Amir et Karim Adduchi

Note : Ce site est Ă©quipĂ© d’un lecteur vocal pour les articles. SĂ©lectionnez le texte que vous souhaitez Ă©couter et profitez de la version audio.

Ils sont originaires du Maroc, talentueux et donnent Ă  la crĂ©ation un Ă©lan. L’un dĂ©bute, l’autre vient de dĂ©ïŹler Ă  Paris pendant les prĂ©sentations Couture. Regards croisĂ©s sur l’évolution de la mode faite par des Marocains.

OĂč en est la mode contemporaine marocaine ? Le paysage crĂ©atif marocain regorge de talents, ici et ailleurs, chacun explorant son univers oĂč percent des traditions couturiĂšres de leur pays. Parmi eux, Karim Adduchi, originaire d’Imzouren, et Noureddine Amir, qui, de Marrakech Ă  Paris fait voyager ses sculptures textiles. Étoile montante de la mode, le jeune Karim prĂ©sente en 2015 une collection largement inspirĂ©e de son hĂ©ritage amazigh.

En 2017, il collabore avec des rĂ©fugiĂ©s syriens sur une collection baptisĂ©e «She Has 99 Names», vĂ©ritable hommage Ă  la femme arabe. Karim Adduchi ïŹgure parmi les 30 personnalitĂ©s artistiques et culturelles de moins de 30 ans les plus inïŹ‚uentes en Europe selon le magazine Forbes. Quant Ă  Noureddine Amir, depuis ses premiĂšres crĂ©ations sous l’Ɠil avisĂ© de Pierre BergĂ© qui le repĂšre, il poursuit son Ɠuvre d’artiste-couturier. Ainsi, il s’est vu consacrer une exposition-rĂ©trospective au sein de la fondation Pierre BergĂ© – Yves Saint Laurent Ă  Paris en 2016 puis au sein du musĂ©e Yves Saint Laurent de Marrakech, dĂ©but 2018. Il est Ă©galement le premier Marocain Ă  avoir dĂ©ïŹ lĂ© lors de la Fashion week Haute Couture de Paris en juillet dernier durant laquelle, ïŹdĂšle Ă  son style, il a prĂ©sentĂ© une collection qui fait la part belle aux robes architecturales en explorant les fonds marins.

Pouvez-vous rapidement revenir sur votre parcours ? Avez-vous toujours été passionné par la mode ? Comment tout a commencé ?

K.A : Depuis ma plus tendre enfance, je baigne dans le milieu artistique. Pendant que je peignais ou dessinais, mes parents, tous les deux tailleurs, jonglaient entre tissus et couture Ă  la maison. Au dĂ©part, je ne pensais pas travailler dans la mode, il y avait une sorte de peur liĂ©e au respect du travail de mes parents. Puis, lorsque j’ai quittĂ© le nid et Amsterdam, la nostalgie a Ă©tĂ© une force motrice pour revenir Ă  mes racines et renouer avec mon moi profond. Mes antĂ©cĂ©dents artistiques combinĂ©s au fait que je devais retrouver qui j’étais aprĂšs mon dĂ©mĂ©nagement m’ont poussĂ© Ă  faire émerger mes racines en tant que Marocain perdu dans un pays diffĂ©rent. J’ai ressenti le besoin de montrer qui j’étais et de rendre hommage au Maroc et Ă  sa poĂ©sie. Je pense qu’il est de ma responsabilitĂ© de contrer les idĂ©es erronĂ©es sur notre pays en utilisant la voix forte de la mode et de l’art. Je souhaite Ă©galement apporter un sens communautaire et un geste social Ă  la mode et moderniser la vision marocaine.

N.A : La mode a depuis toujours Ă©tĂ© une Ă©vidence. Ma mĂšre confectionnait des tapis, tout petit, je jouais avec les ïŹls. Mon attrait pour la matiĂšre vient de lĂ . J’ai Ă©tudiĂ© Ă  ESMOD, puis j’ai travaillĂ© comme costum designer notamment avec la rĂ©alisatrice iranienne Shirin Neshat pour laquelle j’ai créé de nombreux costumes pour ses ïŹlms. C’était en quelque sorte mon stage aprĂšs l’école donc ça m’a permis de dĂ©couvrir un peu le monde de l’art et de travailler avec des artistes. Depuis toujours, c’est la matiĂšre qui me guide Ă  faire les formes et non l’inverse. Si, comme tous les Ă©tudiants j’ai appris Ă  dessiner, j’ai trĂšs vite arrĂȘtĂ© parce que je n’y trouvais pas de plaisir, surtout lorsque l’on connaĂźt les techniques de la couture. Donc je travaille directement sur le mannequin. Je suis comme un peintre, la forme se crĂ©e d’elle-mĂȘme. 

Quelles sont les plus grandes difïŹcultĂ©s que vous avez pu rencontrer dans ce milieu ?

K.A : L’une des difïŹcultĂ©s a Ă©tĂ© de se faire une place dans ce systĂšme effrĂ©nĂ© et trĂšs concurrentiel, mais le plus grand challenge a Ă©tĂ© de garder mes racines et mes valeurs au cƓur du processus. Il peut ĂȘtre difïŹcile de se rappeler qui l’on est lorsque l’on Ă©volue dans ce milieu et je fais un effort supplĂ©mentaire pour que les valeurs et l’intĂ©gritĂ© derriĂšre mon message soient toujours claires, tout en s’adaptant aux changements. Il est important de toujours ĂȘtre au courant de ce qui se passe dans le milieu.

N.A : Il y a tout le temps des difïŹcultĂ©s. Tout d’abord, dĂ©velopper la mode au Maroc, faire des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir, c’est difïŹcile. Au dĂ©but, je n’avais que des clients internationaux, pas de Marocains et doucement les choses ont changĂ©. Mais imaginer des crĂ©ations que j’aime et qui plaisent au plus grand monde reste Ă©pineux. En fait, la vie en gĂ©nĂ©ral est compliquĂ©e, surtout quand on tient Ă  faire quelque chose que l’on aime tout en Ă©tant diffĂ©rent des autres. Moi je ne veux pas ĂȘtre comme tout le monde, donc ça, c’est une difïŹcultĂ© parce qu’il faut trouver les bons clients pour ce que je propose.

De nombreux crĂ©ateurs Ă©trangers s’inspirent du Maroc pour leurs collections. Pourquoi, selon vous, les tenues traditionnelles, les matiĂšres et les couleurs du pays fascinent-elles autant ? Cet hĂ©ritage culturel est-il aussi important pour vous dans votre travail ? Vous en inspirez-vous ?

K.A : C’est l’un de mes moteurs. C’est ma responsabilitĂ© en tant que Marocain ïŹer de ses origines de traduire notre culture et notre sociĂ©tĂ© Ă  l’aide de la mode et d’autres outils de narration. Le Maroc a inspirĂ© de nombreux designers Ă©trangers, car il est extrĂȘmement stimulant et son Ă©nergie est tout simplement contagieuse pour toutes les disciplines artistiques. Nous avons une longue tradition artisanale et une forte identitĂ© esthĂ©tique. Je me sens chanceux d’avoir l’occasion d’honorer notre culture parce que cette derniĂšre nous honore Ă©galement.

N.A : À mon sens, la mode stagne depuis des annĂ©es, donc tous les crĂ©ateurs sont Ă  la recherche de nouvelles inspirations. Ça a Ă©tĂ© l’Inde Ă  une Ă©poque, le Japon, la Russie… et depuis quelques annĂ©es c’est le Maroc qui inspire. Ce sont des pĂ©riodes et des tendances. Il faut dire qu’on a un pays trĂšs riche culturellement parlant. Dans la couture, nous avons foule de possibilitĂ©s, mais il s’agit de les dĂ©velopper pour obtenir quelque chose de moderne. De mon cĂŽtĂ©, bien sĂ»r que je m’en inspire, mais j’essaye de m’éloigner du folklore. Tout ce que je fais ça vient d’ici, mĂȘme les techniques de travail, ce sont des techniques de vĂȘtements traditionnels, mais je les dĂ©veloppe autrement pour que cela devienne contemporain.

Qu’en est-il du prĂȘt-Ă -porter contemporain au Maroc ? Quelle est sa place sur le marchĂ© ?

K.A : C’est un point sur lequel nous travaillons : comment amener le prĂȘt-Ă -porter marocain Ă  un niveau supĂ©rieur dans le Maroc et dans le monde.

N.A : Aujourd’hui, ce qu’on appelle la mode contemporaine marocaine c’est une mode occidentale oĂč l’on rajoute des broderies marocaines donc pour moi ce n’est pas de la crĂ©ation. J’aimerais que l’on ait une mode marocaine qui corresponde vraiment Ă  notre Ă©poque, qu’on peut porter Ă  n’importe quelle occasion, dans n’importe quel pays du monde sans que ce soit quelque chose de folklorique. Le Maroc est plein d’inspiration, on n’a pas besoin de mettre la broderie d’un caftan du 12Ăšme siĂšcle sur une veste. J’aimerais que le pays arrive Ă  crĂ©er une mode marocaine d’aujourd’hui, sans que ce soit lourd ou folklorique. Les Japonais ont une mode qui leur est propre. Quand on porte un de leur vĂȘtement, on sait que ça vient de lĂ . Les Français l’ont fait, les Italiens l’ont fait, les AmĂ©ricains aussi. Il faut que le Maroc y arrive Ă  son tour.

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page