«Macho Mouchkil»: des marocains témoignent contre le machisme

L’héritage, le viol, l’alcool, l’amour…Tous les sujets sont abordés sans tabou et sans langue de bois dans ce corpus photographique intitulé «Macho Mouchkil». A la tête de ce projet, Julia Küntzle qui est partie à la rencontre de Marocains et de Marocaines qui partagent une anecdote machiste qu’ils ont vécu. Au total, ce n’est pas moins de 45 personnes de toutes les classes, de tous les âges et à visage masqué qui viennent dénoncer le machisme gangrenant notre société.

Certains portraits de ce corpus seront affichés dans les rues de plusieurs villes du Maroc. La rédaction de Plurielle.ma a sélectionné deux portraits poignants.

IKRAME: «Mon père me bat, la police rejette ma plainte»

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 «Avant-hier soir, mon père m’a surprise en compagnie d’un garçon, avec qui je ne faisais que parler, en plein boulevard. Il m’a frappée devant tout le monde. Arrivés à la maison, il m’a battue avec le câble qui relie le chauffe-eau à la bouteille de gaz. C’était terrible ! Ma mère le suppliait d’arrêter, mais elle ne s’est pas interposée. Elle a peur, car il la bat aussi.

 En revanche, il ne touche pas à mon frère, il ne frappe que les femmes. Mais il ne m’avait jamais agressée comme cela avant, et jamais pour une histoire de mecs. Généralement, il me frappe quand je rentre du stade. Je supporte un club de football, et pas n’importe lequel : le Raja Casablanca. Je vais au stade depuis que j’ai 12 ans et je suis fière d’être la seule femme qui rentre dans la curva des Ultras. Il déteste ça, pour lui les femmes doivent rester à la maison. Mais je m’en fous, parce que je vis ma passion.

Il m’a ensuite pris mes papiers et mise à la porte. J’ai décidé de ne plus jamais revenir et j’ai voulu porter plainte. Lorsque j’ai déclaré au commissariat qu’il s’agissait de mon père, les policiers ont refusé de prendre ma plainte, prétextant que mon père avait le droit de faire ce qu’il voulait puisque j’étais sa fille. Je suis majeure ! Ils m’ont demandé de partir, tout en me disant que si je restais dans la rue, je pourrais être accusée de prostitution et risquer deux mois de prison.

Dans le droit marocain, le fils peut porter plainte contre son père, mais pas la fille. Je suis persuadée que si certains hommes pouvaient empêcher toutes les filles de respirer ici, ils le feraient. Ma mère, par convention et par peur, refuse de divorcer. Moi je n’accepterai jamais qu’on me prive de ma liberté. Et je n’ai besoin d’aucune tutelle.»

MEHDI: «A 14 ans, ma sœur est presque fiancée contre son gré»

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«Ma sœur a 14 ans. Il y a quelques semaines, mon frère est rentré de Paris pour se marier et habiter de nouveau au Maroc. Un mariage arrangé. Il est très heureux et vit de manière très religieuse. Un jour, son beau-père a appelé mon père pour lui dire que son fils de 22 ans était intéressé par ma sœur, qu’il la trouvait jolie, voudrait qu’ils se marient quand elle aura son bac. C’est une famille de gens très éduqués, ils sont presque tous médecins. “Je suis prêt à tout, a dit ce type à mon père. Y compris à la prendre en charge.

Pour moi ça, déjà, ce n’est pas possible. Ma sœur est encore une enfant. Elle commence à découvrir sa sexualité, elle a envie d’avoir un petit copain. Et je lui souhaite d’avoir plein de petits copains et de découvrir l’amour ! Je n’ai pas envie qu’elle se prive et se mette dans un coin en se réservant pour son futur mari.

Mais la pression ne s’est pas arrêtée là : la femme de mon frère a envoyé à ma petite sœur des vêtements pour se voiler et une clé USB qui contenait un livre de conseils islamiques. Ma petite sœur, elle est plutôt fan de Beyoncé en ce moment ! Elle a envie de danser et d’être coquette. Quand elle a reçu ça, elle était en colère.

Je suis très proche d’elle et je lui apprends la liberté, sans l’influencer. Quand on a ouvert le dossier ensemble, je lui ai dit : « Si tu veux lire ce livre, c’est ton droit. » Elle a refusé. Mais ce mec lui a envoyé des cadeaux, un bureau pour travailler, des chocolats, un sac plein de foulards, un Coran et une lettre écrite en arabe. Ce type lui disait qu’il aimerait l’épouser et lui posait ses conditions pour qu’elle devienne sa femme idéale : être voilée et religieuse. Ma sœur avait les larmes aux yeux tout en rigolant. Elle était très touchée et ça, ça m’a fait mal… Que ce mec de 22 ans planifie de modeler une gamine de 14 ans pour en faire sa femme me met hors de moi.

J’en ai parlé à mon père : Ta sœur est jeune, donc on décide pour elle. On doit tracer son avenir. Sa réponse m’a rendu dingue. Je n’accepte pas que d’autres parents disent aux miens : Il faudrait bien faire attention à conserver [la virginité de] la petite pour préserver notre honneur. Moi je conseille à ma petite sœur de continuer à étudier pour réussir, être indépendante et avoir le contrôle de sa vie pour que, demain, elle puisse envoyer balader le premier qui lui dira comment mener sa vie.»