Ă lâoccasion de la 15e campagne nationale contre la violence faite aux femmes qui a pris fin le 21 dĂ©cembre dernier, le maire de Rabat, Mohamed Sadiki, a fait part de son idĂ©e de mettre en circulation des bus roses, entiĂšrement dĂ©diĂ©s aux femmes. Une initiative qui fait polĂ©mique.Â
Quoiâ?Â
Le dĂ©bat sur le harcĂšlement sexuel et la place de la femme dans lâespace public est plus que jamais dâactualitĂ© au Maroc, notamment aprĂšs la diffusion en aoĂ»t 2017 dâune vidĂ©o montrant une jeune femme assaillie dans un bus Ă Casablanca par plusieurs jeunes hommes dans lâindiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale. PubliĂ©e sur les rĂ©seaux sociaux, cette vidĂ©o sâest rĂ©pandue comme une traĂźnĂ©e de poudre et a choquĂ© le monde entier. Alors pour faire face Ă ce flĂ©au, le maire de Rabat a eu la (fausseâ?) bonne idĂ©e de proposer des bus rĂ©servĂ©s aux femmes. En effet, lors de la clĂŽture de la 15e campagne nationale contre la violence faite aux femmes, Mohamed Sadiki a affirmĂ© que le bien-ĂȘtre des femmes en gĂ©nĂ©ral et dans lâespace public Ă©tait primordial.Â
« Le Conseil communal de la capitale attache une grande importance Ă la lutte contre la violence Ă lâĂ©gard des femmes », a-t-il dĂ©clarĂ©. Si la mise en place de ce service nâest pas imminente, il sâagit dâun projet auquel lâĂ©lu pense sĂ©rieusement. Une idĂ©e qui ne roule pas du tout, selon certains.Â
La vie en rose
Le Maroc nâest pourtant pas le premier Ă y songer, de nombreux pays ont mĂȘme dĂ©jĂ adoptĂ© ce systĂšme.
Câest Ă Londres que le concept a vu le jour en 2006. Deux mĂšres de famille britanniques, soucieuses de permettre aux jeunes filles de rentrer chez elles en toute sĂ©curitĂ© Ă toute heure du jour et de la nuit, sans craindre de se faire agresser par un chauffeur mal intentionnĂ© ont créé les Pink Ladies Cabs, des « taxis roses ». Fort de son succĂšs, le projet sâest trĂšs vite dĂ©ployĂ© dans dâautres grandes villes du monde. DubaĂŻ, Beyrouth, Podolsk (Russie), Puebla (Mexique)⊠tous ont adoptĂ© les taxis rosesâ! Ainsi, Ă Londres comme dans les autres villes, les chauffeurs sont des femmes, souvent calĂ©es en autodĂ©fense. Ă Tokyo, au Caire, Ă Mexico, Ă SĂ©oul, Ă Rio de Janeiro ou encore Ă Malatya (Turquie), ce sont des bus et des wagons de mĂ©tro qui sont rĂ©servĂ©s uniquement aux femmes, le plus souvent aux heures de pointe.Â
Des projets trĂšs bien reçus par la plupart des femmes qui se sentent ainsi en sĂ©curitĂ© et peuvent se dĂ©placer sereinement dans des villes souvent dangereuses. Au Mexique par exemple, 7 femmes ont Ă©tĂ© assassinĂ©es chaque jour en 2016, soit 2746 au total. Des chiffres qui font froid dans le dos⊠En Turquie aussi les femmes apprĂ©cient le fait de ne plus ĂȘtre collĂ©es Ă des hommes qui prennent un malin plaisir Ă se frotter contre elles et Ă leur susurrer des paroles dĂ©placĂ©es.Â
Ségrégation sexuelle
Au Maroc pourtant, lâannonce fait du bruit. Les internautes dĂ©noncent le fait que ce projet ne fera quâaccentuer les stĂ©rĂ©otypes et les inĂ©galitĂ©s entre les sexes et quâil nâapporte quâune solution temporaire, sans apporter de changement en profondeur. En effet, sĂ©parer les femmes des hommes banalise de fait le harcĂšlement sexuel. Ce nâest pas aux femmes de se cacher, ce sont aux hommes dâapprendre Ă cohabiter avec leurs consĆurs. Quâarriverait-il aux femmes qui prendraient un bus « normal » et non le roseâ? Doit-on y voir une acceptation de leur sort, quâelles mĂ©ritent de se faire harceler et quâelles acceptent de prendre le risqueâ? Si ce projet voit le jour, le risque de glisser tout doucement vers un espace public non mixte tourne Ă plein rĂ©gime. AprĂšs les bus, les taxis, les cafĂ©s, les boutiquesâ? Ainsi, si cette solution permet aux femmes de se sentir en sĂ©curitĂ© Ă un moment donnĂ©, Ă savoir durant leur transport en bus, quâen est-il du reste de la journĂ©eâ?Â
(Re)faire la loi
La jeune Sofia Slami qui a fait de lâĂ©galitĂ© des genres son combat en lançant le mouvement âHouwa_Li_Hiyaâ sâest Ă©galement indignĂ©e de cette nouvelle sur Instagram et a fait part de son dĂ©sarroi face au manque de rĂ©action de ses concitoyens face Ă une telle dĂ©cision. Selon elle, ce projet va Ă lâencontre du progrĂšs et la solution rĂ©side dans lâĂ©ducation des jeunes et dans le respect de la loi.Â
ŰŹŰ§Ű±Ù ŰȘŰÙ ÙÙ Ù ÙŰŽÙ۱ Instagram...
«Non monsieur, ce nâest pas un bus 100 % femmes qui changera les choses mais câest une loi 100 % respectĂ©e, juste et indiscutable, proposĂ©e par vous et appliquĂ©e par tous qui pourra peut-ĂȘtre calmer quelques ardeurs…Mais câest surtout lâĂ©ducation de ces jeunes quâil faut revoir et en urgence », dĂ©clare-t-elle.  Une idĂ©e qui semble donc aller Ă lâencontre des idĂ©es prĂŽnĂ©es par les femmes Ă une pĂ©riode oĂč elles luttent plus que jamais pour lâĂ©galitĂ© des sexes et le respect de leurs droits. Ainsi, mettre en place des espaces rĂ©servĂ©s aux femmes pour assurer leur sĂ©curitĂ© (comme câest le cas dans plusieurs pays europĂ©ens notamment) pourra ĂȘtre envisageable lorsquâau Maroc, on ne cherchera plus Ă savoir ce que les femmes ont fait pour provoquer ce harcĂšlement sexuel mais lorsquâelles seront vues comme de rĂ©elles victimes.Â