Société

Portrait au Maroc: Asma Lamrabet, féministe et musulmane

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Elle dirige Ă  Rabat le Centre des Ă©tudes fĂ©minines en islam. MĂ©decin biologiste de formation, cette figure de la pensĂ©e rĂ©formiste est aujourd’hui particuliĂšrement engagĂ©e dans la rĂ©flexion sur la question des femmes dans l’islam. Et montre que le fĂ©minisme a plusieurs visages.

« On a tendance Ă  confondre modĂšles et principes. Mais de la mĂȘme maniĂšre qu’il existe diffĂ©rents modĂšles de dĂ©mocratie, il existe diffĂ©rents types de fĂ©minisme, car les prioritĂ©s et les revendications des femmes peuvent changer selon les contextes, bien que les principes restent les mĂȘmes », explique Ă  l’AFP Mme Lamrabet, dont un Ă©lĂ©gant voile bleu couvre en partie ses cheveux bruns. Exemple: « si les fĂ©ministes marocaines se battent pour une vĂ©ritable Ă©galitĂ© hommes/femmes applicable sur le terrain ou contre le mariage des mineurs, les Saoudiennes revendiquent le droit de conduire, de voter, de s’habiller librement », argumente-t-elle.
 
« L’Ă©galitĂ© juridique hommes-femmes, la dignitĂ©, la libertĂ© et l’Ă©mancipation sont les principes clĂ© du fĂ©minisme », ajoute encore la chercheuse qui a publiĂ© fin dĂ©cembre son septiĂšme ouvrage, « Croyantes et fĂ©ministes, un autre regard sur les religions » (Ă©ditions La croisĂ©e des chemins). A l’instar de l’Indienne Gayatri Chakravorty Spivak, qui a fait un « travail formidable sur la reprĂ©sentation des femmes du sud dans le discours occidental », Asma Lamrabet n’hĂ©site pas Ă  critiquer le « fĂ©minisme occidental hĂ©gĂ©monique, qui veut parler au nom de toutes les femmes du monde ».
 
Dans les annĂ©es 1960 aux Etats-Unis, « il y a eu une rupture avec le fĂ©minisme hĂ©gĂ©monique blanc grĂące au combat d’Angela Yvonne Davis », dit-elle. Mais aujourd’hui encore, « des fĂ©ministes continuent de considĂ©rer les femmes du sud comme Ă©tant des subalternes », regrette Mme Lamrabet. Et c’est Ă  travers le prisme de la religion et de l’interprĂ©tation des textes religieux que la chercheuse marocaine fonde sa pensĂ©e fĂ©ministe. Dans son dernier livre, elle dĂ©construit les lectures fondamentalistes du Coran, tout en s’intĂ©ressant Ă  l’image de la femme dans les religions du livre. « Dans toutes les traditions religieuses, on retrouve une certaine reprĂ©sentation stĂ©rĂ©otypĂ©e des femmes. Le problĂšme ne vient pas des textes religieux, mais bien de l’interprĂ©tation de ces textes par les hommes », estime-t-elle.
 
– ‘Lecture contextualisĂ©e’ –
C’est pourquoi « il faut absolument faire une lecture contextualisĂ©e du Coran. Quand le Coran parle de raison, de justice, il faut y voir des concepts universels. Mais il y a des versets conjoncturels, qui rĂ©pondent Ă  des circonstances donnĂ©es, historiques. Il faut en garder la finalitĂ© et l’esprit, et non la littĂ©ralité ». Mme Lamrabet suggĂšre ainsi de « faire appel Ă  la raison et de s’investir dans une relecture dĂ©politisĂ©e de l’islam ». Autre chantier: sĂ©parer le religieux du politique, car « la laĂŻcitĂ© dans ses principes nobles est la seule voie possible pour vĂ©ritablement respecter les libertĂ©s individuelles, tout en protĂ©geant la religion », selon elle. En attendant, la laĂŻcitĂ© reste « mal comprise et diabolisĂ©e dans les sociĂ©tĂ©s arabo-musulmanes, car souvent assimilĂ©e Ă  l’athĂ©isme », souligne-t-elle.
 
 

Le Maroc, qui se veut le chantre d’un islam modĂ©rĂ©, a remaniĂ© en profondeur son champ religieux et entamĂ© un vaste chantier de formation des imams qu’il n’hĂ©site pas Ă  « exporter ». Il a aussi nommĂ© une cinquantaine de femmes prĂ©dicateurs (mourchidate) dans les mosquĂ©es pour « encadrer l’enseignement religieux ». Asma Lamrabet dit toutefois ne pas se reconnaĂźtre dans cet « islam officiel », et dans « certaines politiques trĂšs traditionalistes et qui sont des stratĂ©gies plus qu’autre chose ».
 
« Je trouve qu’on a fait beaucoup de marketing autour des mourchidates, mĂȘme si ce programme reste intĂ©ressant du point de vue symbolique. Cela fait dix ans qu’elles sont lĂ , et ne font que transmettre le mĂȘme message patriarcal. Elles n’ont pas fait avancer la cause des femmes. Et elles ne peuvent pas, car il n’y a pas eu de rĂ©forme de fond dans l’enseignement qu’on leur a transmis ». Sur la formation d’imams Ă  l’Ă©tranger, Mme Lamrabet Ă©met Ă©galement des rĂ©serves: « Former des imams français? Je n’y crois pas trop. La lecture rĂ©formiste doit ĂȘtre contextualisĂ©e. Si on ne prend pas en considĂ©ration le contexte d’oĂč est nĂ© l’extrĂ©misme, on ne peut pas agir contre. Que voulez-vous qu’un imam marocain transmette comme message Ă  des jeunes en France? », conclut-elle. 

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