Une dĂ©cennie aprĂšs Barack Obama, Donald Trump pourrait-il se voir dĂ©cerner le prix Nobel de la paix pour sa gestion de l’Ă©pineux dossier nord-corĂ©en?
L’idĂ©e mĂȘme, poussĂ©e par une poignĂ©e d’Ă©lus rĂ©publicains, fait bondir ses dĂ©tracteurs aux Etats-Unis et au-delĂ . Et laisse nombre d’observateurs sans voix tant ce dĂ©bat apparaĂźt prĂ©maturĂ©.
Reste que cette petite musique est douce aux oreilles de l’homme d’affaires septuagĂ©naire, arrivĂ© au pouvoir sans la moindre expĂ©rience politique, militaire ou diplomatique et dont la soif de reconnaissance n’est plus Ă dĂ©montrer.
« C’est trĂšs gentil, merci. C’est trĂšs gentil« , a-t-il rĂ©pondu samedi, tout sourire, Ă ses partisans dans le Michigan qui scandaient « No-bel! No-bel! ». « Je veux juste faire le boulot« , a-t-il ajoutĂ©, non sans avoir prononcĂ© lui-mĂȘme, ravi, le mot « Nobel« , comme pour mieux le savourer.
« C’Ă©tait trĂšs gĂ©nĂ©reux de sa part de faire cette dĂ©claration« , a-t-il lancĂ© mardi, depuis le Bureau ovale, Ă©voquant les propos du prĂ©sident sud-corĂ©en Moon Jae-in qui a laissĂ© entendre que le locataire de la Maison Blanche pouvait avoir la prestigieuse rĂ©compense Ă sa place. « Le principal est d’y arriver« , a-t-il aussi ajoutĂ©.
L’ouverture enregistrĂ©e sur la pĂ©ninsule corĂ©enne, l’approche d’un sommet entre Donald Trump et le dirigeant nord-corĂ©en Kim Jong Un, et l’hypothĂšse d’une Ă©ventuelle dĂ©nuclĂ©arisation – sur laquelle tout reste Ă faire – nourrissent de fait l’espoir d’un tournant historique dans cette partie du monde.
Mais aussi spectaculaires que soient les images et les symboles, nombre d’analystes soulignent qu’il est tĂŽt, trĂšs tĂŽt, trop tĂŽt, pour spĂ©culer sur l’issue des nĂ©gociations en cours avec le rĂ©gime dirigĂ© d’une main de fer par la dynastie des Kim depuis prĂšs de 70 ans.
Surréaliste
Pour Aaron David Miller, ancien diplomate et nĂ©gociateur dans plusieurs administrations dĂ©mocrates comme rĂ©publicaines, les discussions sur l’attribution du prix Nobel Ă Donald Trump ont un cĂŽtĂ© « surrĂ©aliste » tant elles sont prĂ©maturĂ©es.
Sur le fond, ces spĂ©culations renvoient au dĂ©bat – passionnĂ© – sur le rĂŽle exact du prĂ©sident amĂ©ricain dans l’ouverture diplomatique en cours.
Des deux cĂŽtĂ©s, les raisonnements sont poussĂ©s jusqu’Ă l’absurde: soit en affirmant que le prĂ©sident des Etats-Unis, Trump n’a jouĂ© aucun rĂŽle dans ce qui ce se passe sur la pĂ©ninsule corĂ©enne, soit en lui attribuant absolument tous les mĂ©rites de l’Ă©volution en cours.
Au-delĂ d’un climat politique dans lequel « il est devenu quasiment impossible pour un parti de saluer les succĂšs d’un autre« , la personnalitĂ© de Trump, et « son incapacitĂ© Ă penser en termes de +nous+ plutĂŽt que +je+ », renforce encore les antagonismes, relĂšve Aaron David Miller.
« L’aversion des dĂ©mocrates Ă l’idĂ©e qu’il se voit attribuer le Nobel est Ă©troitement mĂȘlĂ©e Ă leur aversion pour lui« , souligne-t-il.
Pour les fervents partisans de Donald Trump, le sommet historique Ă venir, totalement inimaginable il y a quelques mois, est la preuve que ce prĂ©sident au style volontiers abrupt peut casser les codes, faire bouger les lignes, rĂ©ussir lĂ oĂč tous ses prĂ©dĂ©cesseurs ont Ă©chouĂ©.
Un groupe d’une vingtaine d’Ă©lus rĂ©publicains a adressĂ© mercredi un courrier au comitĂ© norvĂ©gien du Nobel, lui demandant d’examiner le cas de Donald Trump pour 2019 en reconnaissance de « son travail sans relĂąche pour apporter la paix dans le monde« .
Pour ses farouches opposants, Ă l’inverse, les actes de sa jeune prĂ©sidence, sa remise en cause de nombre de piliers du multilatĂ©ralisme, mais aussi ses mots, son style, ses diatribes, devraient le disqualifier par avance dans la course au Nobel.
Roosevelt, Wilson, Carter et Obama
L’attribution du cĂ©lĂšbre prix Ă son prĂ©dĂ©cesseur dĂ©mocrate, Barack Obama, quelques mois seulement aprĂšs sa prise de fonctions, avait suscitĂ© la surprise, et de vives rĂ©actions.
« Je suis au dĂ©but, et non Ă la fin, de mes travaux sur la scĂšne mondiale« : lançait-il le 10 dĂ©cembre 2009 Ă Oslo, reconnaissant d’entrĂ©e « la controverse considĂ©rable » suscitĂ©e par cette rĂ©compense surprenante Ă l’aube de son premier mandat.
Au-delà de Barack Obama, trois autres présidents américains ont déjà reçu le prestigieux prix: Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson et Jimmy Carter.
Dans l’attente du sommet Trump-Kim, et des tractations diplomatiques – longues et difficiles – qui s’annoncent, certains optent pour l’humour.
Dans le Washington Post, l’Ă©ditorialiste Dana Milbank s’est amusĂ© Ă imaginer le discours d’acceptation de Donald Trump, le 10 dĂ©cembre 2018 Ă Oslo, reprenant ses tics de langage.
« Ceux qui me dĂ©testent et qui mentent disent que je ne mĂ©rite pas cette rĂ©compense. (…) Faux! J’ai Ă©tĂ© vraiment trĂšs intelligent quand j’ai fait la paix avec Rocket Man. En le traitant de petit et gros et en disant que je le dĂ©truirais complĂštement par le feu et le colĂšre avec mon gros bouton nuclĂ©aire, je l’ai forcĂ© Ă nĂ©gocier« .