Hicham Lasri, artiste féroce

Si ses talents sont multiples, Hicham Lasri a avant tout l’art de mettre le doigt là où ça fait mal. Dans ses BD, ses romans ou encore ses films, il force le public à se remettre en question… Entretien avec un artiste résolument engagé dans le vrai.

 

 

 

L’exposition « Fawda » est en cours à l’institut français, qu’y exprimez-vous?

 

 

« FAWDA » est un projet qui a nécessité trois mois de préparation… Ce concept se décline en trois parties : une exposition comprenant l’accrochage de planches originales (du 10 mai au 25 juin au CCF), la création d’une sorte de papier mural pour les soutenir et la sortie de mon deuxième roman graphique, après « Vaudou » édité en 2016 par Le Fennec. « Fawda » est un roman graphique qui a bénéficié d’une méthode de fabrication totalement handmade grâce à ma collaboration avec les Editions Kulte. Cette méthode a apporté à mes planches, mes textes et mes collages un supplément d’âme injecté par la machine et la technique risograhique…

 

 

 

 

Vous avez également réalisé un téléfilm diffusé pendant ramadan, « un homme sans dignité »…

 

 

 

« Un homme sans dignité » est un téléfilm que j’ai écrit et réalisé pour 2M. C’est le récit d’une cavalcade, d’un malaise, celui de ce type d’homme arriviste et sans âme qui ne se gêne pas pour s’arranger avec la réalité afin de s’en sortir.

 

 

Dans ce film, j’évoque cette génération qui doit baisser la tête et courber l’échine pour passer la porte de l’âge adulte et comment on perd son âme à force de vouloir gagner une situation, renoncer à ses principes pour trouver sa place dans le monde…  La référence à Faust est à la base de ce récit, mais c’est essentiellement la journée terrible d’un jeune homme qui doit changer de voiture, de boulot et de personnalité pour se plier aux exigences d’une fiancée insupportable de vulgarité pour la simple raison que son père est riche.

 

 

 

Le film est inspiré de « l’affaire du coup de boule » : une citoyenne qui donne un coup de tête à une comédienne qui voulait griller la politesse de la queue. Je compte aussi écrire une comédie sentimentale type « Coup de Foudre à Notting Hill » sur l’affaire Benhammad et Nejjar du MUR.

 

 

 

A travers vos œuvres, on retrouve votre regard critique sur la société marocaine, que lui reprochez-vous?

 

 

 

Je ne reproche rien à la société marocaine, à part la bêtise crasse de certains de nos concitoyens. Plus sérieusement, je pense que le rôle d’un artiste c’est d’être un contradicteur, un « Watchman ».

 

 

C’est un rôle de résistance mais une résistance amusée, espiègle, décomplexée, pas très sérieuse, pas très premier degré – ça c’est le rôle de la politique et de la société civile – on a besoin de Storytelling, on a besoin de gens qui écrivent le récit national. C’est le rôle de l’artiste, du griot, de retranscrire un récit émotionnel, un récit universel car il adopte le point de vue singulier d’une personne.

 

 

Il se trouve qu’on vit une époque de crise, une époque de levée de boucliers et notre société semble très déchirée dans cette lutte risible entre politiciens. Ce désintérêt de beaucoup de marocains pour la politique est le signe d’une crise de foi dans nos institutions.

 

 

 

En tant que cinéaste c’est une époque formidable pour apporter une « punk attitude » et un regard féroce et frondeur sur les hommes, les institutions et les raccourcis qui clouent notre société au sous-sol.

 

 

 

Pensez-vous que votre art puisse avoir un impact ?

 

 

 

Je suis un utopiste donc je sais que l’art passe en dernier – la poésie, comme le savon sont les premiers signes tangibles d’une société civilisée – d’ailleurs, la première erreur du parti islamiste lors de son premier mandat est d’avoir cherché à javelliser l’art, à « makhzaniser » les idées, à s’en prendre aux libres penseurs et à mettre en avant les plus médiocres des propagandistes d’un certain conservatisme hypocrite.

 

 

 

Donc, ce besoin de résistance est vitale pour la société, je n’ai pas beaucoup d’espoir dans le fait que les masses se sentent concernées par ce genre de débat, mais comme le fredonne si bien Léo ferré : “le désespoir est une forme supérieure de la critique” !

 

 

 

Que pouvez-vous nous dire de la scène artistique marocaine ?

 

 

 

Le signe extérieur d’une société en crise, c’est qu’elle cherche à se dédouaner en subventionnant l’art, un certain art, un art officiel et aseptisé, tout en essayant de jouer les quotas et la démocratie. Or, l’art, comme la génétique, n’est pas une affaire de démocratie : un réalisateur qui fait deux mauvais films doit changer de métier et c’est valable pour toutes les disciplines artistiques.

 

 

 

Au lieu de célébrer l’excellence et le génie, on continue de célébrer la zone grise de la médiocrité et de la permissivité. Ce que je pense de la scène artistique marocaine ? : Je trouve qu’il y a beaucoup de mercenaires, beaucoup de « Khemmassa », beaucoup d’imposteurs et de rentiers.

 

 

 

 

Mais il reste 10% d’artistes honnêtes et sincères qui réalisent œuvre personnelle contre vents et marées et l’histoire leur rendra justice. Souvenez-vous de Nass El Ghiwan, souvenez-vous de Mohammed Khaire-Eddine…

 

 

 

Quels sont vos projets à venir?

 

 

 

Je vais entamer une tournée au Maroc et ailleurs avec mon installation Fawda inaugurée à L’Institut Français de Casablanca, je boucle la post-production de mon 6ème long-métrage titré « The Moody Age Of Grotesque » qui traite de l’asservissement dans les sociétés arabes modernes, je termine la rédaction d’une pièce de théâtre titrée « Les Invisibles » ainsi qu’un nouveau roman graphique…

 

 

 

Mais le projet qui me passionne le plus c’est de prendre un peu de vacances avec mes enfants et ma femme !