Quand Driss Jaydane en finit avec la Diversité Culturelle

Celle-ci -la diversité culturelle-, serait, selon l’auteur, fille du Meurtre et du Spectacle, et ne saurait en aucun cas produire du sens et de la vie, comme la Culture, qu’il lui oppose radicalement. Dans cet extrait, on peut lire ce qu’est la Culture… 

« La Culture, aujourd’hui plus qu’hier, est probablement, et sans doute, la seule protectrice et gardienne de la Vie !  En tant qu’elle est ce qui fonde notre condition d’humains, séparés de nous-mêmes et du Monde. Et donc voués à aller les uns vers les autres, en cherchant un sens à et en ce Monde… N’est-ce pas dans ce but unique, que nous avons inventés la Langue, l’Art, fabriqué les traditions, les religions… N’est-ce pas cette condition qui est la Culture ? N’est-ce pas elle, qui la dit et la rappelle ? La Culture, miraculeuse et savante, c’est en elle que se trouvent, précieusement conservés, tous les secrets de la préservation de la Vie, car elle est ce grand livre où sont regroupées, consignées, toutes les recettes ontologiques qui nous permettent, depuis la Nuit des temps, – encore elle !, de demeurer vivants, avec nos corps, avec nos âmes… Comme individus et comme peuples.
 
Oui, la Culture, comme telle, est bien le moyen le plus sûr, au fond, pour continuer d’aimer la vie, de la signifier. Et de se refuser d’y être indifférent. Alors, si la Culture, – abusons de la prononciation de son grand nom !, est cette science, cet art, ce discours de la condition humaine, il semble évident, nécessaire, et réel, qu’il n’existe-t-il pas de Culture du meurtre. C’est-à-dire aucune justification qu’aucune culture, puisse lui donner !
 
Il n’y a pas, en vérité, de Culture de l’indifférence à la vie. Et l’on comprendra dès lors qu’il n’existe pas de Culture du Nihilisme. Et que le terrorisme, que le meurtre, ne saurait être de culture juive, chrétienne, et musulmane. Et ni même aborigène ! Ce qui existe, en vérité, c’est le goût de la mort, la passion du crime… Celui que l’on commet, celui auquel on consent. Celui à propos duquel on ment, dont on rit, dont on se sert pour oublier l’Autre.
 
Alors ? Combattre, avec et par la Culture, cette science, cet art, ce discours de la Condition humaine partagée, pour que ne nous soit pas ôtée toute la compassion et toute la colère que commande le meurtre d’un chinois qui se fait tirer une balle dans la nuque, celui d’un homosexuel que l’on précipite du haut d’un immeuble de quinze étage, celui d’un homme qui brûle sur une chaise, d’une  femme qui se fait trancher la tête sur un parking, pour ne pas rire aux blagues des amuseurs qui s’amusent du démembrement, de la famine, et de la Fin de l’Homme.
Les dénoncer, ces formes généralisées du consentement, de l’accoutumance, de l’accommodement. Les dénoncer, à chaque fois, ne pas mentir à leur propos, ne pas en rire ! Et surtout, refuser de les séparer, tous ces meurtres : c’est cela, combattre l’Indifférence à la vie, combattre tous les noms que se donne et continuera de se donner, longtemps encore, le Nihilisme Transcendantal.
 
Et de cela, de cette lutte, seule la Culture est capable, c’est là sa seule fonction. Elle qui n’est qu’une chose, ce qui fait qu’éprouvant la Vie, nous sommes, nous les Hommes, les gardiens du temple qu’elle est, les gardiens de ses vivants piliers, les dépositaires du Sens et de la Vie, par le geste, la parole, et tous les actes qui nous font, nous intiment, nous commandent d’être ce que nous sommes, les continuateurs, puissants, fragiles, inquiets, mais non moins responsables de notre Humanité Commune. Inventeurs, et inventés par elle, la Culture. Car elle est la vie vivante. Avec ses signes et ses sons, ses langues et ses traditions, dont nous sommes à jamais, pour toujours, les seuls et uniques responsables. Elle est préservation du Sens et de la Vie, elle qui, seule, est notre plus précieux talent, en ce monde. Et s’il est bien un point sur lequel nous nous ressemblons, les Humains et le Monde, c’est que personne ne peut porter nos noms à notre place. Alors c’est ensemble, comme deux bons vieux et presqu’éternels amis, aussi connus que mystérieux l’un pour l’autre, que nous devons avoir, longtemps encore, le génie de durer. Car il n’existe rien qui puisse nous remplacer. Alors qu’est-ce enfin que la Culture ?
 
Elle est ce qui dit et ce qui préserve l’Irremplaçable. »
 
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Driss C. Jaydane – La faute et le festin
Essais sur fond blanc. Ed. La Croisée des chemins, 2016
Prix: 70 DH – 16 euros