La chronique de Majda : Faux portraits

Cela fait quelques minutes que je regarde, admirative, cette photo de famille d’un ami d’enfance dont le seul contact avec ma personne reste un ajout sur Facebook sans un « bonjour ».

 

Un contact fantôme qui ne fait que publier ses belles photos sans un commentaire ni un merci aux multiples compliments un peu sincères, un peu hypocrites.

 
Tout est parfait. Lui, en nœud de pap’, sa femme en longue robe dessinant sa silhouette encore fragilisée par un récent accouchement, un nouveau-né dans les bras, et leur aîné vêtu en miniature de son père.

 

 

Leurs sourires sont radieux … on devinerait même un fou-rire une minute auparavant. On imagine une grande réunion familiale – thé à la menthe et gâteaux à gogo – pour célébrer l’amour et la vie offerte par ce sentiment d’extrême noblesse.

 
J’aime le bonheur et voir ces portraits de familles orner mon fil d’actualité Facebooquien sali par les attentats et les soulèvements de ce monde. Ca fait plaisir à voir. Ca fait du bien de dire que quelques rues plus loin, une famille « d’jeune » coule des jours heureux.

 
Perdue dans mes pensées naïves et rêveuses, je suis soudainement interrompue par mon amie de longue date qui ne comprend pas trop ce qui me laisse silencieuse. Heureuse, je retourne mon ordinateur et lui demande si elle se souvient de ce garçon devenu homme, qui a partagé nos bancs et nos goûters à l’école primaire et m’extasie de son bonheur. Elle rit nerveusement.

 

 

Je lui demande ce qu’il lui arrive et la laisse se lancer dans un long monologue d’à peu près une heure où elle m’explique l’histoire derrière ce cliché beaucoup trop parfait.

 
L’homme en question s’est vu contraint par ses parents d’épouser une cousine de Fès histoire que cette race tant chérie par ses géniteurs suive cette continuité à mourir d’ennui. Pourtant il était amoureux depuis presque une décennie d’une autre.

 

Cette autre au sang mélangé, bâtarde selon les croyances ancrées d’une psyché malade, qui a traversé le meilleur et le pire avec cette tendre moitié. Ils étaient apparemment les Roméo et Juliette de Aïn Sebâa. « Comment ? Tu ne le savais pas ? ». Leur couple était une sorte d’évidence pour tous. Ce genre de couple dont tu devines la fin heureuse.
Je regarde encore une fois le cliché et cherche peut-être une tristesse dans un regard, un ennui dans l’autre, une peur. Je me rends compte que cette image est tellement parfaite qu’elle pourrait paraître – après recul – suspecte.

 

 

Mais j’avoue que les « acteurs » assurent dans leurs rôles.
Qu’est ce qu’on aime étaler la confiture de notre bonheur fantasmé sur les tartines virtuelles ! Qu’est ce qu’on aime convaincre autrui d’une vie parfaite construite sur sa propre douleur! Qu’est ce qu’on aime être acteurs du néant rien que pour satisfaire ces quelques centaines d’inconnus qui pourtant n’aiment se nourrir que du malheur d’autrui ! Ca serait « humain » dit-on.

 
Cet homme, ce mari, ce papa s’est plié au bon vouloir de ses parents et a préféré la facilité, l’argent, les affaires. Le confort parfois, souvent, est privilégié à l’amour et aux principes qu’on martèle bien trop souvent.

 

 

Cette histoire est vraie, elle n’est ni originale ni unique, elle est juste symptomatique d’une société malade, raciste, régionaliste, où ces familles « pure race » détruisent les bonheurs de leurs progénitures pour offrir l’illusion aux autres (ils sont importants ces « autres ») qu’elles ont réussi des mariages … voués à la déchirure.

 

 

Cette histoire témoigne de la lâcheté d’un homme qui se voulait de principes et qui a fini par lâcher l’amour de sa vie pour les clopinettes offertes par l’argent familial. Cet argent qui façonne les apparences tant sacralisées dans ce pays où tu ne vaux que ce que tu as.

 
Ce garçon, enfin cet homme, est malheureux à mourir avec sa cousine, enfin son épouse, qui elle aussi est malheureuse avec un mari ailleurs.

 

 
Aujourd’hui encore, notre Roméo au nœud de pap’ se saoule et implore le pardon de sa Juliette impure. Aujourd’hui, celle qui était censée devenir sa femme est devenue sa maitresse, et sa femme est ce fardeau qu’il traînera derrière lui à vie ! Il publiera demain encore un autre cliché faux, surfait pour convaincre ces « autres » que tout va bien dans ce monde libre, mais en réalité … il a juste pris perpète.

 

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