La presse française fait son buzz avec les « opérations bikini » en Algérie

Depuis le début de l’été, des Algériennes, se donnant rendez-vous sur la plage pour éviter d’y être importunées par des dragueurs grossiers ou des professeurs de morale, ont été érigées par certains médias en militantes luttant en bikini contre l’islamisme.

 

 

 

 

Lundi, l’info a fait le « buzz » sur les sites de certains médias français. Le 27 juillet, Le Parisien alertait sur ces femmes qui se battent pour porter des bikinis sans se faire harceler. L’info esr relayée par Le Figaro qui salue “La leçon de liberté des Algériennes en bikini” ou 20 Minutes qui s’interroge sur “Une révolution des bikinis en marche”.

 

 

 

 

 

Enfin, hier, plusieurs médias dont Marianne annonçaient que « jusqu’à 3.000 femmes » étaient attendues pour une « baignade républicaine géante » à Tichy, localité balnéaire de Kabylie située près de Béjaïa (250 km à l’est d’Alger).

 

 

 

 

Kamel Medjdoub, chef du bureau de Béjaïa du quotidien El-Watan est pourtant formel: « Aucune baignade républicaine n’a eu lieu », lundi 7 août. « C’était une journée ordinaire avec son lot de maillots ordinaires de toutes sortes », a-t-il assuré par téléphone à l’AFP.

Le bikini n’est pas interdit sur les plages algériennes, où les femmes se baignent dans des tenues diverses – maillot une-pièce, deux-pièces, habillées ou en burkini.

 

 

 

 

Annoncée sur des réseaux sociaux, cette « baignade républicaine » – qui pourrait être un canular selon des médias algériens – était censée faire écho à de prétendues « opérations bikini » lancées en début d’été à Annaba (600 km d’Alger) pour, selon certains médias algériens, français, italiens ou britanniques, imposer par le nombre les bikinis sur les plages locales.

 

 

 

 

Problème: aucun journaliste algérien ou étranger n’a pu constater la réalité de ces opérations et seule une photo d’une de ces supposées « opérations bikini », sans date ni lieu, montrant une vingtaine de femmes de dos en maillot, circule sur Twitter.

Le buzz est né d’un article d’un journal local d’Annaba, le Provincial, publié le 10 juillet et repris sur les réseaux sociaux puis dans les médias.

 

 

 

L’article évoquait « un groupe de 2.876 femmes » qui « s’organise chaque semaine sur les réseaux sociaux pour protester de manière pacifique en se baignant en maillot de bain sur les plages de la ville », ce en réaction à une « campagne » islamiste sur internet appelant à photographier les femmes en maillot et les publier en ligne.

 

 

 

 

Si le groupe Facebook « Quelle plage à Annaba? » existe bien, il n’a pas été créé par militantisme probikini mais pour se rendre en groupe sur la plage afin de se protéger du harcèlement de certains hommes, a expliqué l’une de ses membres à l’AFP.

Le groupe a été créé fin juin, a déclaré Sarah, 24 ans, étudiante à Annaba: « J’ai adhéré début juillet (…) parce que je trouvais que nous n’étions pas à l’aise pour nager. Nous ne voulions pas être dérangées ».

 

 

 

 

 

« Jusqu’à présent, nous nous sommes retrouvées à une vingtaine de femmes sur la même plage (…) en général la plage de Séraidi » à Annaba, a poursuivi Sarah qui dit connaître « une centaine de personnes de ce groupe ».

« Je n’ai pas accès à la totalité des membres de ce groupe et je ne les connais pas tous » mais « il n’y a jamais eu de baignade à 3.000 femmes », a-t-elle assuré à l’AFP.

 

 

 

 

 

L’auteure de l’article initial, Lilia Mechakra, a indiqué à l’AFP avoir « parlé d’un groupe de femmes de 3.000 membres, sans dire qu’elles allaient à la plage toutes ensemble ». Selon elle, ses propos ont été déformés, puis le chiffre repris partout sans vérification.

En outre, a souligné Sarah, « pour nous, peu importe que la femme soit en bikini, en voile, en maillot une pièce ou autre, l’essentiel est de pouvoir nager à l’aise sans être embêtées ».

 

 

 

 

Le groupe a été créé non en réaction à une campagne intégriste mais à l’attitude de nombreux hommes sur les plages, a insisté la jeune femme qui dénonce « les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux ».

 

 

 

 

Car si l’ampleur de la « campagne islamiste » consistant à photographier les femmes en maillot reste à évaluer, le harcèlement verbal des femmes sur les plages – ou dans les rues – d’Algérie, par des dragueurs grossiers ou des professeurs de morale, est une réalité.

 

 

 

 

Selon Yamina Rahou, sociologue au Centre algérien de recherche en Anthropologie sociale et culturelle (CRASC), la société algérienne est prise « entre le marteau des intégristes qui veulent une police des moeurs et des plages pour femmes, et l’enclume de la marchandisation du corps des femmes des Occidentaux qui veulent imposer une modernité débridée ».

Mais ces opérations bikini, « c’est un fantasme des médias étrangers, français en particulier, pour meubler l’été après le feuilleton du burkini » en 2016, a-t-elle expliqué à l’AFP .