De star sulfureuse à voilée, la rédemption qui passionne le Bangladesh

Au Bangladesh, où les récits moralistes se vendent comme des petits pains, le feuilleton de la transformation d’une star de cinéma au parfum de scandale en prêcheuse d’un islam ultrapuritain passionne le public.

 

 

 

Depuis sa parution ce mois-ci, un livre-entretien avec Naznin Akter Happy s’arrache dans les librairies du Bangladesh, pays conservateur à majorité musulmane qui glisse depuis une dizaine d’années vers un islam rigoriste. « Happy Theke Amatullah » (« D’Happy à Amathullah ») raconte la métamorphose de la jeune femme glamour de 22 ans en austère « servante de Dieu ».

 

 

 

« Nous croulons sous les commandes de tous les coins du pays », décrit Mohammad Obaidullah, le propriétaire de Maktabatul Azhar, une maison d’édition spécialisée dans les livres islamiques.

 

 

 

« Tout le monde veut savoir ce qui l’a poussée à quitter une vie de star pour la vie ordinaire d’une musulmane pieuse », explique-t-il.

Actrice de Dhallywood, l’industrie du cinéma bengali, Happy s’était fait connaître sur grand écran en 2013 avec le film « Kichu Asha Kichu Valobasha » (Des espoirs, des amours). Mais son nom n’a véritablement été catapulté dans les foyers du Bangladesh qu’à l’occasion d’une polémique suivie dans ses moindres détails par toute la nation.

 

 

 

Fin 2014, l’actrice accuse Rubel Hossain, l’un des lanceurs stars de l’équipe nationale de cricket – dans une région du monde où ce sport déchaîne les passions populaires -, de l’avoir violée. Selon elle, l’athlète de 25 ans entretenait une « relation intime » avec elle en l’assurant de l’épouser, une promesse non tenue.

 

 

 

Ces révélations avaient fait scandale au Bangladesh, où les relations sexuelles hors mariage sont vues d’un très mauvais œil. Crier à la coercition est alors parfois un moyen de restaurer son honneur.

 

 

Le joueur de cricket a de son côté dénoncé un chantage. Incarcéré pendant quelques jours, il avait été libéré pour participer à la coupe du monde de cricket.

 

 

Les médias locaux avaient couvert à l’envi chaque rebondissement de cette affaire. Cette dernière a d’ailleurs continué à faire jaser bien après que la jeune femme eut renoncé à sa plainte, disant accorder son pardon au sportif.

 

 

 

 

 

Table rase du passé

Affaire dans l’affaire, la machine médiatique entre en ébullition le jour où la star glamour apparaît au tribunal recouverte d’un voile islamique, une première.

Quelques mois plus tard, du jour au lendemain, la jeune femme bascule. Disant avoir eu une « épiphanie » lors d’un tournage, elle change complètement de trajectoire de vie.

 

 

Elle adhère au Tablighi Jamaat, un mouvement évangélique sunnite qui revendique des millions de membres au Bangladesh, et se retranche dans une école coranique.

 

 

La nuit de sa révélation, « elle a commencé à supprimer les milliers de photos d’elle-même qu’elle avait postées sur Facebook. Ensuite elle a coupé les liens avec le monde du cinéma », raconte Abdullah Al Faruque, coauteur du best-seller sur le sujet avec sa femme Sadeka Sultana Saqi.

 

 

 

Le couple a eu un accès rarissime à l’ex-étoile du cinéma. « Elle a changé son nom pour Amatullah. Elle a commencé à porter une burqa intégrale et couvre même maintenant ses mains et ses pieds », décrit-il.

 

 

 

Déterminée à effacer le passé et à parfaire son image d’icône pieuse, la célébrité est également parvenue à empêcher la sortie du dernier film où elle jouait, arguant qu’il montrait une personne totalement différente.

 

 

 

« Je me sens comme un bébé nouveau-né », témoigne-t-elle dans le livre, à propos de sa reconversion. « Maintenant, je n’ai plus d’attaches avec ma vie antérieure. C’est l’histoire d’une autre personne. »

 

 

 

Si l’ouvrage survole le scandale sexuel qui a fait connaître la jeune femme, désormais mariée, les lecteurs bangladais n’auront pas manqué de tirer la morale de cette histoire, voyant dans sa vocation religieuse une sorte de rédemption de sa vie passée.

 

 

 

« Happy Theke Amatullah » vient grossir les rayons de la chaste littérature islamique qui connaît un engouement croissant dans ce pays de 160 millions d’habitants. Ses auteurs captivent leurs lecteurs en dénonçant les femmes modernes et les modes de vie à l’occidentale.

 

 

 

Des livres qui se terminent invariablement par le retour des protagonistes dans le droit chemin de la morale et de la tradition. Au Bangladesh, le public aime les fins heureuses, même pour Happy.