Zainab Fasiki, féministe jusqu’au bout du crayon

Dessinatrice marocaine de bande-dessinée, c’est à travers ses dessins que Zainab tente de lutter contre le sexisme dans son pays. La jeune femme qui se prédestinait à une carrière dans le domaine de l’ingénierie mécanique, s’est décidée à suivre sa passion et à devenir bédéiste, dans l’espoir d’élever la voix des femmes et de changer les choses. Une jeune femme passionnée et engagée.

 

 

 

Depuis quand dessinez-vous ?  Où avez-vous appris ? 

 

Zainab Fasiki : Je dessine depuis l’âge de 4 ans, je suis une autodidacte. A 16 ans, j’ai reçu ma première tablette graphique. J’ai alors appris à l’utiliser en faisant des recherches sur Internet. Une fois que je l’avais bien en mains et que je maîtrisais les logiciels, j’ai commencé à publier mes dessins sur les réseaux sociaux. En 2015, j’ai eu la chance de pouvoir intégrer le fanzine Skefkef. Il s’agit d’un magazine qui sort 3 fois par an et qui traite des tabous en toute liberté. J’y ai appris toutes les bases pour créer et produire des bandes-dessinées lors de ces résidences artistiques. C’est d’ailleurs à cette période que j’ai réalisé mes premières planches de bandes-dessinées. Encore aujourd’hui, je collabore avec eux. A chaque fois que je peux dessiner sur leurs nouveaux numéros je le fais.

 

 

 

Vous êtes ingénieure de formation, un métier d’hommes, vous êtes-vous lancée dans cette carrière ou avez-vous choisi de privilégier la BD ?

 

Au départ, j’étais lancée pour devenir ingénieure. Mais tout au long de mes stages en mécanique au sein de différentes sociétés marocaines, j’ai été confrontée à de nombreuses situations de discrimination. Evoluer dans un milieu d’hommes est en effet très difficile. Cela m’a poussée à devenir féministe. J’ai donc décidé de dédier ma carrière à la lutte contre le patriarcat par le biais de mes dessins. Cependant, je mets toujours à profit mes compétences en ingénierie dans des festivals d’art électronique car j’ai une autre passion qui est la création de circuits électroniques pour des performances artistiques. Au Maroc, ce sont surtout des domaines dominés par les hommes mais il y a de plus en plus de filles qui commencent à en faire partie. Seulement, certaines d’entre elles ont encore besoin d’être motivées et convaincues qu’elles peuvent évoluer dans n’importe quel domaine, tout comme les hommes.

 

 

 

Pourquoi dessinez-vous essentiellement des femmes ? Quels messages voulez-vous faire passer à travers vos dessins ?

 

Personnellement, j’adore le corps féminin. C’est pour cela que je dessine souvent des femmes dénudées mais également parce qu’ici, le corps des femmes est considéré comme tabou et comme un objet sexuel qu’il faut cacher. On ne trouve jamais de nus de femmes dans les musées ou de statues de corps de femmes dans les rues. Tout ceci engendre une frustration sexuelle chez les hommes ce qui les pousse à harceler les femmes dans les espaces publics. A travers mes dessins, j’essaye de formater le cerveau de mon public afin de le convaincre qu’il est normal de voir un corps nu et qu’il faut le regarder de manière artistique. Je pense que ce travail permettra de supprimer ces pulsions sexuelles chez les hommes. Aussi, j’essaye de toujours casser cette image parfaite du corps féminin créée par les médias. Je dessine des femmes de toutes les tailles, de toutes les couleurs et de toutes les cultures.

 

 

 

Vous traitez souvent le harcèlement. En êtes-vous victime ? Vos dessins sont-ils inspirés de vos propres expériences ?

 

Bien sûr. Chaque jour je me fais harceler dans les espaces publics, que ce soit au Maroc ou dans d’autres pays arabes et européens. Cela me pousse donc à militer contre ce fléau et à essayer de sensibiliser les gens, notamment les jeunes, à respecter les femmes. En effet, je trouve qu’il y a un gros manque d’éducation sexuelle et de sensibilisation au harcèlement dans notre système éducatif. Je m’inspire donc de mes expériences personnelles quotidiennes dans mes dessins mais également celles de mes amies et des femmes de mon entourage.

 

 

 

En quoi êtes-vous féministe ?  De manière générale, comment sont perçus vos dessins ? Recevez-vous des critiques voire même des menaces parfois ?

 

Je suis féministe dans le sens où j’invite la société à accepter la liberté personnelle et sexuelle des femmes marocaines. Je milite pour qu’elles soient respectées au même titre que les hommes dans les espaces publics, au travail, à la maison. Ceci implique aussi bien évidemment l’égalité des salaires. Au début, mes dessins n’étaient pas acceptés par les gens et même par ma famille. Mais finalement, tout le monde a compris que je voulais véhiculer des messages de paix et d’humanité, que je ne blesse personne et que par-dessus tout, je fais ce que j’aime. Il arrive que je reçoive des critiques et des insultes mais je n’y prête pas attention et préfère me concentrer sur des choses positives.

 

 

 

Essayez-vous de briser les stéréotypes liés à l’image de la femme ?

 

Oui je lutte contre ça. Mais pas seulement contre les stéréotypes liés au corps de la femme. Je lutte également contre certaines valeurs et croyances : le port du voile, le fait de devoir rester vierge jusqu’au mariage etc. Pour moi, il est nécessaire de respecter la liberté des autres dans toutes les sociétés et arrêter de juger les filles en se basant sur leurs corps, leurs actions et leur passé.

 

 

 

Pensez-vous réussir à faire évoluer les mentalités et l’image de la femme à travers vos dessins ?

 

Oui je le pense car l’image permet de sensibiliser tout le monde, y compris les illettrés. En effet, selon moi l’image reste le meilleur outil pour transmettre des messages au lieu des longues explications écrites. Le dessin permet également d’inviter les Marocains à découvrir le monde de la BD et commencer à lui donner enfin la place et la valeur qu’elle mérite.

 

 

 

Justement, parlez-nous de votre première BD « Omor ». De quoi traite-t-elle ? Est-elle déjà disponible ?

 

Durant toute l’année dernière, j’ai travaillé sur plusieurs projets avec des organisations qui militent pour les droits de l’Homme au Maroc et cela m’a énormément ouvert l’esprit. C’est pour ça que j’ai encore reporté la sortie de ma BD en changeant son scénario et tout le design pour y inclure d’autres thématiques et solutions pour accéder à l’égalité des sexes. Elle sera donc lancée dans les prochaines semaines, d’autant plus que j’ai réussi à trouver le financement nécessaire à son impression. La sortie de ma BD sera accompagnée de petites vidéos qui traitent de la même thématique, diffusées sur les réseaux sociaux. Cela m’a pris pas mal de temps parce que j’ai à cœur de produire une BD avec une très bonne qualité de dessin et de rédaction.

 

Vous travaillez actuellement en collaboration avec la résidence d’artistes «Women Power». De quoi s’agit-il ?

 

Je viens de lancer récemment des résidences artistiques « Women Power » afin d’encourager les Marocaines à devenir artistes car il y a un cruel manque de femmes dans ce domaine. Il s’agit donc d’une journée, organisée chaque mois au studio JawJab à Casablanca. On détermine un domaine artistique (production de films, dessin…) puis on choisit 20 filles qui peuvent venir assister à différentes formations délivrées par des coachs et professionnels. L’après-midi est consacré à la réalisation d’un produit artistique. Bien entendu, nous choisissons à chaque fois une thématique féministe. La deuxième édition aura lieu le 25 février et sera consacrée à la réalisation d’un guide pour lutter contre le harcèlement de rue, le tout en dessins.


 

Pensez-vous être un exemple pour les femmes qui souhaitent évoluer dans le monde de l’art et revendiquer leurs droits à travers leur travail ?

 

Je fais de mon mieux pour vivre comme je l’ai toujours rêvé et j’invite les filles à mener la vie qu’elles souhaitent et ne pas devenir esclaves d’une culture, d’une religion, d’une famille ou de n’importe qui. J’aimerais qu’elles vivent avec fierté et respect et qu’elles ignorent les jugements sexistes. Aussi, les femmes doivent arrêter de se dévaloriser.

 

 

 

Quels sont vos projets futurs ? Une nouvelle BD ?

 

Je travaille actuellement sur des livres, des guides pour enfants qui leur expliquent la sexualité et la liberté, différents événements, festivals, court-métrages ainsi que sur des plateformes.

 

 

 

Vous avez réagi en dessin suite à l’agression de Zineb dans le bus, qu’avez-vous ressenti ? En tant que féministe, que pensez-vous du projet des «bus roses» réservés exclusivement aux femmes ?

 

Cet accident m’a énormément touchée ainsi que toutes les Marocaines car nous vivons constamment dans cette peur au sein des espaces publics. On se met à la place de Zineb et on se dit que cela aurait pu arriver à n’importe laquelle d’entre nous. C’est pour cela que plusieurs filles ont fait des sit-in dans tout le royaume. Malheureusement, cette idée proposée par le maire de Rabat de mettre en circulation des bus exclusivement réservés aux femmes n’est pas la solution. Il faut au contraire soigner les agresseurs et les violeurs pour y remédier. Je pense que la séparation des deux sexes ne fera qu’amplifier le désir et les pulsions sexuelles refoulées des hommes.


Quel message voulez-vous faire passer aux femmes marocaines ? 

 

Je vous invite à ouvrir vos esprits et surtout vos yeux. Je vous invite à vous défendre à chaque fois que vous êtes sous-estimées ou harcelées car le changement commence par vous, il ne faut pas l’attendre. Vous êtes capables de faire exactement les mêmes choses que les hommes car nous avons tous le même cerveau et les mêmes pouvoirs.